Évaluation d’une entreprise familiale (aspects pratiques)

Introduction

Il existe diverses approches et méthodes d’évaluation, lesquelles s’appliquent autant aux entreprises familiales qu’aux autres types d’entreprises. Traditionnellement, la valeur d’une entreprise est fondée sur la rentabilité qu’elle génère ou est fondée sur la valeur des actifs qui la compose.

L’approche basée sur la rentabilité est utilisée dans un contexte de continuité d’exploitation, où l’on présume que l’entreprise pourra poursuivre ses activités tout en ayant la possibilité d’accroître ses bénéfices, tandis que l’approche fondée sur la valeur des actifs est généralement utilisée lorsque l’entreprise ne procure pas à ses actionnaires un rendement suffisant sur le capital investi. Le rendement requis dépend notamment des risques associés au secteur et de l’entreprise à évaluer.

Méthodes basées sur la valeur des actifs

Valeur des actifs nets redressés : La méthode des actifs nets redressés est utilisée pour évaluer les sociétés de gestion parfois détentrices des actions de l’entreprise familiale opérante. Cette méthode implique que chaque élément d’actif ou de passif inscrit aux livres doit être redressé, afin de refléter sa juste valeur marchande à la date d’évaluation. Les placements dans des sociétés opérantes rentables sont évalués selon les méthodes basées sur la rentabilité, tandis que les autres sont évalués à leur valeur de réalisation nette, soit après la considération des impôts latents.

Valeur de liquidation : Lorsqu’une entreprise familiale n’est pas rentable ou n’offre pas un rendement suffisant, le prix le plus élevé (juste valeur marchande) correspond à sa valeur de liquidation. Cette méthode consiste à déterminer le montant net que réaliseront les actionnaires après la disposition des actifs et le paiement de tous les passifs. La valeur de réalisation tient compte des frais associés à la disposition (commissions, honoraires, etc.) et des impôts payables par la société. Les frais encourus durant la période de liquidation, les indemnités de cessation d’emploi et les pénalités pour mettre fin au bail, doivent également être pris en compte dans ce calcul.

Méthodes basées sur la rentabilité

Dans la présente section, nous nous limiterons aux méthodes d’évaluation basées sur la rentabilité les plus fréquemment utilisées pour évaluer les entreprises familiales, soit celle de la capitalisation des bénéfices nets normalisés et celle de la capitalisation des flux monétaires nets discrétionnaires (revenant aux actionnaires).

Capitalisation des bénéfices nets normalisés : Cette méthode implique la détermination des bénéfices nets normalisés et la capitalisation de ceux-ci à un taux (multiple) approprié. Les actifs excédentaires, soit ceux qui ne sont pas nécessaires à l’exploitation, sont ajoutés à leur valeur de réalisation nette. Cette approche s’appuie sur l’hypothèse qu’un vendeur pourrait sortir ces actifs avant de vendre l’entreprise familiale ou exigerait une compensation.

Capitalisation des flux monétaires nets discrétionnaires : Cette méthode est utilisée lorsqu’il existe des écarts importants entre l’amortissement et le niveau de réinvestissement annuel nécessaire pour maintenir les opérations de l’entreprise familiale. Cette méthode se différencie de la précédente par l’utilisation de flux monétaires au lieu de bénéfices et par le traitement des impôts. Selon cette méthode, la valeur actualisée des économies d’impôts sur la fraction non amortie du coût en capital (FNACC) disponible à la date de l’évaluation est ajoutée à la valeur capitalisée afin de compenser pour l’impôt calculé sur les flux monétaires au lieu des bénéfices.

Étape 1 : Détermination des bénéfices nets normalisés / flux monétaires nets discrétionnaires : Dans la détermination des bénéfices nets normalisés / flux monétaires nets discrétionnaires d’une entreprise familiale, outre les dépenses non récurrentes, la rémunération de la direction doit souvent être ajustée afin de refléter la rémunération qu’un acquéreur devrait payer sur le marché pour des fonctions similaires puisque leur rémunération comporte généralement plusieurs éléments, tels que le salaire de base, les bonis, les dividendes et les comptes de dépenses discrétionnaires. De plus, plusieurs entreprises familiales assument les assurances sur la vie des actionnaires dirigeants. Lorsque c’est le cas, ces dépenses doivent être éliminées des bénéfices nets normalisés / flux monétaires nets discrétionnaires puisqu’il s’agit d’une dépense discrétionnaire.

Étape 2 : Détermination du taux de rendement (multiple) : Les multiples des bénéfices (flux monétaires) sont déterminés en utilisant, comme point de départ, les taux de rendement sur des placements peu risqués (ex. : Obligation du Canada à long terme). Par la suite, l’évaluateur doit additionner au taux de rendement sans risque, plusieurs primes de risques pour en arriver à un taux de rendement global qu’un investisseur prudent devrait exiger en investissant dans l’entreprise familiale. Ces dernières se composent d’une prime de risque reliée à : la détention d’une participation en actions dans l’entreprise, la taille de l’entreprise et une prime de risque spécifique à l’entreprise (risque relié à la concurrence, à la clientèle, au marché, à la main-d’œuvre, à la réglementation, etc.).

Les multiples de sociétés ouvertes du même secteur d’activité peuvent être utilisés pour déterminer les multiples applicables aux bénéfices (flux monétaires) de l’entreprise à évaluer. Toutefois, leur usage nécessite un ajustement pour tenir compte du fait qu’il y a des différences importantes entre les entreprises publiques dites comparables et l’entreprise familiale évaluée.

Problèmes particuliers d’évaluation d’une entreprise familiale

Personne clé : Dans une entreprise familiale, le succès est souvent directement attribuable aux efforts d’une personne clé à la fois dirigeante et propriétaire. Cette personne travaille généralement dans un domaine d’activité très spécialisé qui requiert de l’expérience, cumule plusieurs postes au sein de l’entreprise ou entretient une relation de confiance avec ses clients.

Sur le plan de l’évaluation, l’impact d’une telle personne peut être reflété au moyen d’un escompte appliqué sur la valeur globale des actions de l’entreprise, d’un ajustement aux bénéfices nets normalisés / flux monétaires nets discrétionnaires ou d’un ajustement aux multiples.

L’importance de la personne clé dépend, entre autres :

– De la possibilité de trouver une autre personne capable d’assumer éventuellement les responsabilités de la personne clé et du temps nécessaire pour y arriver; et

– De la rémunération versée à la personne clé et celle qui devrait être versée à son remplaçant.

Enfin, plusieurs études sur la question ont été réalisées depuis les années ’70. Il en ressort que l’escompte pour personne clé a diminué de façon constante et qu’il se situe dans l’intervalle de 5 % à 10 % de nos jours. La cause possible de cette diminution est que les petites entreprises familiales auraient depuis lors accru leur capacité a maintenir leurs habilités de gestion.

Convention entre actionnaires : Les membres de la famille qui possèdent des actions ont souvent convenu d’une convention. Des difficultés d’interprétation amènent des problèmes d’évaluation des actions.

a) Les clauses relatives à l’évaluation ou à la fixation du prix des actions peuvent désavantager l’une des parties au moment d’une transaction. L’utilisation d’une formule préétablie peut ne pas convenir aux circonstances et peut, par conséquent, sur ou sous évaluer l’entreprise.

b) La définition du prix ou de la valeur proposée dans la convention peut amener des difficultés d’interprétation. Lorsque le terme « juste valeur marchande » est utilisé, il faut normalement, au moment d’évaluer une participation minoritaire, tenir compte de la possibilité d’appliquer des escomptes de participation minoritaire ou de faible négociabilité.

Lorsqu’il est aux prises avec de tels problèmes, l’évaluateur doit-il tenir compte de la convention d’actionnaires pour évaluer l’entreprise familiale?

Du point de vue fiscal, la circulaire d’information 89-3 précise les conditions pour qu’une convention entre actionnaires soit jugée déterminante pour établir la valeur des actions lorsque cette convention lie des parties ayant entre elles un lien de dépendance, soit :

« Le prix fixé dans la convention ou qui est calculé selon la formule donnée dans celle-ci constitue une partie suffisante et complète et correspond à la juste valeur marchande des actions déterminée indépendamment de la convention au moment de la signature de celle-ci. »

Participations minoritaires : Dans une entreprise familiale, on retrouve fréquemment des actionnaires qui détiennent des participations minoritaires. Dans l’évaluation de telles participations, il est reconnu de considérer un escompte sur la valeur au prorata.

Pour quantifier (de façon subjective) l’escompte minoritaire, il faut tenir compte, entre autres, de la taille de la participation minoritaire, du degré de dispersion du capital-actions, de la présence possible d’acheteurs sur le marché pour acquérir cette participation minoritaire, du degré d’influence de l’actionnaire minoritaire, etc.

Les tribunaux canadiens se sont penchés sur le problème de la moins-value des participations minoritaires dans un grand nombre de causes où il y avait un contrôle exercé par un groupe ou une famille. Dans de telles situations, il n’existe aucune constance (ex. : un taux systématique de 30 %) dans la quantification de l’escompte.

Du côté des autorités fiscales, lorsqu’on reconnaît qu’une famille contrôle la corporation, une évaluation proportionnelle pour les actions de chaque membre du groupe familial est utilisée. La circulaire d’information 89-3 traite en détail de la question du contrôle par un groupe familial.

Conclusion

L’entreprise familiale doit être évaluée en tenant compte de ses particularités, en exerçant un jugement professionnel et en s’appuyant sur le gros bon sens. Un effort raisonnable doit être effectué pour appuyer la juste valeur marchande utilisée pour transiger puisqu’il est possible que les autorités fiscales révisent la transaction.

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